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Interview avec Pierre Verdier, auteur aux Éditions Persée

1) Pouvez-vous vous présenter ?

J’ai 77 ans. Je suis né dans la banlieue rouennaise. À 17 ans, je me suis engagé dans la Marine nationale pour 3 ans. Au cours de cet engagement, après l’école de spécialité, j’ai préparé mon entrée à l’Université et je me suis marié. À la suite j’ai, parallèlement, poursuivi des études de droit à la Faculté de Rouen (licence en 4 ans de l’époque et Certificat d’études judiciaires), et occupé à plein temps, ayant deux enfants à charge, trois emplois administratifs successifs (adjoint des cadres hospitaliers, attaché à la ville de Rouen puis secrétaire général de l’Ensemble Urbain du Vaudreuil Ville nouvelle dans l’Eure). Dès que j’ai obtenu le Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat, je me suis inscrit au Barreau d’Évreux et j’ai suivi la conférence du stage de l’époque d’une durée de trois ans. Je voulais exercer, de préférence à une carrière administrative aussi intéressante qu’elle puisse être, une profession indépendante. C’est ainsi que j’ai, aussi rapidement que possible, créé un cabinet à Louviers (Eure) qui s’est assez rapidement développé ; en association quelques années après, avec mon meilleur ami. Mon activité a d’abord été celle d’un généraliste, puis je me suis spécialisé en droit social, en maintenant cependant, par goût, un volet d’affaires en droit pénal. À la quarantaine, toujours en parallèle de mon activité professionnelle, j’ai passé une licence de philosophie à la Faculté des Lettres de Rouen, puis un Diplôme d’Études Approfondies de philosophie politique et juridique à celle de Caen. Je voulais redonner une place à un intérêt ancien pour la philosophie, non sans rapport avec mon métier.

Parvenu à la retraite, j’ai soutenu une thèse de doctorat en droit et je partage actuellement pour l’essentiel mon temps, hormis une fonction d’administrateur d’une association du secteur médico-social, entre la lecture, la peinture et l’écriture.

2) Qu’est-ce qui vous a conduit à l’écriture après une longue carrière d’avocat ?

À 16 ans, avant mon engagement, j’ai fait une première expérience d’écriture. Une pièce de théâtre intitulée Les sables mouvants ; un titre qui en dit long sur mon état d’esprit de l’époque. Une pièce perdue qui ne méritait certainement pas d’être sauvée, sinon comme témoignage d’un certain désarroi, d’une certaine errance adolescente. Et peut-être d’un certain attrait de la plume, que la profession d’avocat m’a permis de retrouver et satisfaire en partie. En effet, la narration tient une place importante dans l’activité de l’avocat. Au départ d’une affaire, il y a le récit que le client fait de son affaire, de ses tenants et aboutissants. Puis celui que son conseil, à partir de cette matière brute, va construire et développer dans ses conclusions, c’est-à-dire dans le texte à destination du tribunal, qui contient selon un ordre rationnel les éléments de fait et les éléments de droit en discussion, sélectionnés et articulés dans l’espoir d’emporter sa conviction. Une construction qui, bien qu’elle concerne une situation réelle, n’est pas sans rapport avec celle d’un roman ou d’une pièce de théâtre. Le romancier ou le dramaturge prend toujours appui sur des faits réels tirés de son expérience ou de celle des autres. Il est sans doute trivial, mais toujours utile, de rappeler qu’on ne crée jamais ex nihilo. Certes, l’écrivain, en dehors de la biographie — quoi que — et à moindre degré de l’autofiction, aura en principe le souci de transposer, alors que l’avocat s’efforcera de « coller » le plus possible à la réalité ; mais non, bien souvent, sans un certain tri, une certaine sélection dans les faits, et, le cas échéant, en raison de ce qu’il n’en n’a pas été le témoin, sans éclairer à sa façon les zones d’ombre. Autrement dit, l’avocat aussi, donne toujours un peu, dans la fiction. C’est pourquoi à votre question « Qu’est-ce qui vous a conduit à l’écriture après une longue carrière d’avocat ? », je réponds : un désir qui vient de l’adolescence, entretenu, modestement mais continument dans l’exercice du métier d’avocat qui, de surcroît, comporte avec la plaidoirie et le prétoire, une certaine dimension dramaturgique.

3) Qu’est-ce qui vous a inspiré l’écriture de L’avocat et la vérité ?

Deux questions d’actualité : celle de la vérité et celle de « l’orientation sexuelle » :

  • La première est, depuis toujours, centrale, aussi bien pour la science que pour la philosophie. Les ouvrages qui y sont consacrés, sont innombrables. Mais elle connaît une actualité particulière avec les discours stupides, mais aux conséquences délétères, des partisans des « vérités alternatives », hermétiques à la contradiction dans les termes que comporte la locution. Il m’a paru intéressant, à cette occasion, bien qu’il s’agisse de tout autre chose en l’occurrence, de montrer comment la question de la vérité, peut néanmoins diverger de sa compréhension commune ; comment elle se pose concrètement et singulièrement à l’avocat au cours du procès dont l’issue est le prononcé d’une vérité particulière — la vérité judiciaire ; pourquoi et comment il faut parfois au robin composer avec la réalité des faits ; quel rapport, possiblement ambigu, elle peut entretenir avec celle de la justice.
  • La seconde, dans la variété de ses manifestations, suscite aujourd’hui de multiples débats. Elle présente, que l’on soit un hétérosexuel absolu ou que l’on se range à quelque titre que ce soit sous la bannière « arc-en-ciel », un indéniable important enjeu anthropologique. Mais c’est là encore sous l’angle de la vérité, que j’ai abordé le sujet. Il n’y a pas d’indication précise dans le roman sur l’époque de l’action, mais on devine que c’est à la fin du siècle précédent, c’est-à-dire à un moment où, en particulier dans certains milieux conservateurs, tout était fait pour dissimuler des relations amoureuses tenues pour scandaleuses. Une dissimulation dont il m’a semblé intéressant de montrer quelles conséquences, possiblement tragiques, elle pouvait entraîner ; mais aussi quel bien pour tous au final, on peut attendre de sa dénonciation à l’heure de vérité humaine que devrait être toujours le procès d’assises ; même au prix de quelques arrangements avec la vérité strictement factuelle.

4) Dans quelle mesure votre expérience d’avocat a-t-elle influencé les récits présents dans le livre ?

Dans une mesure considérable, à deux niveaux :

  • D’abord, celui de l’histoire. Comme c’est sans doute le cas pour beaucoup de romanciers, l’histoire racontée est un condensé de plusieurs histoires vécues, lues ou entendues. En ce qui me concerne, j’ai trouvé dans une assez large mesure, la matière brute de mon roman dans mon fond d’archives professionnelles. Il a bien entendu fallu transposer et créer la trame dans laquelle chacun des récits qui compose l’histoire, est venu s’insérer. Mais cette histoire n’en bruisse par moins des échos de mon expérience d’avocat.
  • Ensuite celui de la crédibilité au-delà de la simple recherche d’un « effet de réel ». Sans cette expérience, il m’aurait sans doute été impossible d’écrire un roman précisément qualifié de documentaire en raison de ce qu’il rend compte, aussi fidèlement que possible dans son déroulé romanesque, de la vie professionnelle d’un avocat dit « de proximité » en raison de ce que son activité est en rapport direct avec la vie des gens quel qu’en soit le milieu social ; par opposition à l’avocat « d’affaires » dont la motivation est essentiellement financière.

5) Comment avez-vous construit le personnage de maître Mauduit ? Est-il inspiré de votre propre vécu ou s’agit-il d’un personnage entièrement fictif ?

Il résulte de mes réponses aux questions précédentes, que j’ai largement puisé dans ma longue expérience professionnelle. Qui dès lors pourrait croire que le maître Mauduit du roman m’est totalement étranger ? Mais l’inspiration de ce personnage comme de tous les autres, et les évènements auxquels ils sont confrontés, n’ont pour autant aucun rapport direct avec la biographie de l’auteur et ses dossiers.

6) Le livre explore les tensions entre vérité judiciaire et vérité humaine. Comment avez-vous abordé cette dualité dans l’écriture ?

Je me suis efforcé de l’aborder de la façon la moins théorique possible ou autrement dit, de la façon la plus vivante, sensible, possible, ce que permet le roman et non l’essai. Les tensions sont données à voir au travers de la confrontation des perceptions de la situation par les protagonistes, liées à leurs présupposés et à leur sincérité à géométrie souvent variable. Avec leur résolution judiciaire dans le verdict de la cour d’assises, et leur résolution humaine dans le livre, avec l’accord final intervenu entre toutes les parties, qui doit clore tous les contentieux antérieurs.

7) Avez-vous rencontré des difficultés à mêler fiction et réalité dans des affaires aussi sensibles ?

Comme le dit la secrétaire de Me Mauduit dans le dialogue inaugural du roman : des « histoires à dormir debout, ici, on nous en raconte tous les jours. » Dans les affaires sensibles au sens d’affaires à forte charge humaine, il m’a été bien souvent difficile de faire la part de la réalité et donc de la fiction, dans ce qui était présenté comme des faits par le client. Autant dire que j’ai en quelque sorte bénéficié, grâce à mon métier, d’une certaine préparation à l’écriture romanesque.

8) Quel message ou quelles réflexions souhaitez-vous transmettre au lecteur à travers votre ouvrage ?

Mon ambition, quoi que modeste, en écrivant ce livre, a été double :

  • Elle a été de montrer que si les voies de la justice ne sont pas impénétrables, dans les affaires complexes ¬— ce qu’elles sont toujours plus ou moins dès lors qu’on prend le temps de creuser un peu leurs tenants et aboutissants — ces voies ne peuvent qu’être quelque peu « sinueuses ». Bien sûr, parce que la justice est humaine de part en part, qu’elle répond à un besoin profondément et spécifiquement humain (quel autre animal social, se préoccupe de justice ?), et qu’il est parfaitement illusoire de penser qu’elle pourrait être « exacte ». Ou alors ce serait celle rendue par une Intelligence artificielle dans un État totalitaire, sachant que cela n’est déjà plus de la fiction.
  • Mais aussi d’apporter une pierre à un mouvement encore trop méconnu en France, contrairement aux États-Unis où il est actif depuis le XIXe siècle, celui de Droit et littérature. L’idée centrale étant que nombre d’œuvres littéraires présentent un intérêt pédagogique pour l’étude du droit. C’est ainsi que François Ost dans un livre intitulé Raconter la loi, aux sources de l’imaginaire juridique (O. Jacob. 2004) montre que « la littérature contribue directement à la formulation et à l’élucidation des principales questions relatives à la justice, à la loi et au pouvoir » (p. 45). Trois exemples parmi une multitude d’autres que je cite spontanément parce qu’ils me sont particulièrement chers : l’Antigone de Sophocle, le Procès de Kafka et l’Étranger de Camus. Avec le professeur Ost, je ne peux manquer de citer aussi le livre écrit sous la direction d’Antoine Garapon et Denis Salas, Le droit dans la littérature (Michalon, 2008), au titre des ouvrages qui m’ont fait penser à l’intérêt documentaire que pouvait revêtir mon livre.

9) Avez-vous des projets littéraires à venir ?

C’est, pour le moment, un essai qui est en préparation. Je m’efforce de penser une alternative novatrice au positivisme juridique. Une entreprise qui, bien que de nature plus théorique, n’est cependant pas sans rapport avec ce que j’ai répondu au point précédent. Il s’agit en effet de reconnaître et d’intégrer dans le concept de droit positif, une limite éthique à l’application par le juge qui en est par essence le garant, du droit politique , entendu comme celui produit, sans limite d’aucune sorte a priori, par les instances normatives du pouvoir politique étatique.

Pour commander le livre : https://www.editions-persee.fr/librairie/lavocat-et-la-verite/